Dans le courant des XVIIIe et XIXe siècles, l’essor de la pratique de la promenade – ce loisir consistant à se déplacer pour le plaisir – influença de manière significative l’aménagement urbain puisqu’il entraîna la création de nouveaux lieux où primèrent la lenteur du déplacement, le confort du piéton et la qualité de l’espace public. La promenade, diurne ou nocturne, se décline sous plusieurs modalités, des plus convenables aux moins recommandables : badaudage, flânerie, errance, racolage… Au fil des déplacements des étudiants bohèmes, des dandys flâneurs, des journalistes en quête de faits divers, des bourgeoises encanaillées ou des « marcheuses », une géographie des parcours émerge, révélant de multiples visages de Bruxelles, des plus séduisants aux plus inquiétants. La promenade est aussi source de différenciation spatiale, voire de discrimination : les femmes n’ont pas le loisir d’occuper l’espace ni d’y évoluer comme les hommes, les différentes classes sociales ne se livrent pas à la déambulation dans les mêmes lieux, aux mêmes moments, ni selon les mêmes modes, (jeunes) étrangers et (bons bourgeois) bruxellois ne se partagent pas la rue sans tension. Le poète, lui, en fait pour sa part un élément structurant de sa création, la marche se muant en démarche littéraire pour élaborer, à partir du matériau urbain, une géographie toute personnelle. Le besoin de promenade continue, aujourd’hui, à animer les citoyens au sein d’une ville de plus en plus livrée à la voiture et contribue à faire évoluer les espaces. En témoigne la récente création du piétonnier du centre-ville qui, faute d’aménagements spécifiques, ressemble encore à un long dimanche sans voitures : deviendra-t-il un jour lieu de flânerie investi par les Bruxellois, un lieu emblématique de la ville tel que l’a été, au XIXe siècle, la fameuse rue Montagne de la Cour ? Suscitera-t-il des modes de déambulation inédits, de nouveaux usages de l’espace, des lieux de sociabilité et de consommation particuliers ?
Laurence Brogniez