Micm-arc

A la Monnaie

Félicien Rops, « Les vieilles Monnaies », dans L’Uylenspiegel, 1ère année, n° 10, 4 juin 1856, p. 3. © Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles, cote S.III 30 697.

Galerie
 

Le Théâtre royal de la Monnaie, en activité depuis le début du XVIIIe siècle, est un haut lieu culturel bruxellois. C’est là que fut donné l’opéra de Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871), La Muette de Portici, le soir du 25 août 1830. La salle est rénovée en 1853 par le peintre-décorateur français Charles Polycarpe Séchan (1803-1874), également décorateur de la salle de l’Opéra-Comique et de celle des Variétés à Paris. Le bâtiment est malheureusement entièrement détruit par un incendie le 21 janvier 1855. Très vite, la Ville de Bruxelles décide d’en financer la reconstruction. Après un concours infructueux, c’est l’architecte Joseph Poelaert (1817-1879, futur architecte du Palais de Justice) qui est choisi. La nouvelle salle est inaugurée en mars 1856.

Trois mois plus tard, cet événement est relaté en deux planches parues dans le journal satirique L’Uylenspiegel par le jeune namurois Félicien Rops (1833-1898). L’artiste a déjà une expérience de dessinateur de presse. Inscrit en 1851 à l’Université libre de Bruxelles, il a illustré le journal des étudiants, Le Crocodile, dès 1853. Trois années plus tard, il cofonde L’Uylenspiegel et en assume la fonction de rédacteur en chef. La liberté de ton y est grande et le journal affirme haut et fort sa neutralité politique et religieuse. C’est également le lieu des revendications artistiques de ses animateurs, dont font partie Charles De Coster et Camille Lemonnier.

Les planches dont il est question sont des « macédoines », des pages illustrées présentant une composition relativement harmonieuse de dessins humoristiques autour d’un même sujet. La première s’intéresse aux défuntes « vieilles Monnaies ». Une allégorie replète trône au centre de la composition, entourée des grands dramaturges et compositeurs dont les œuvres y ont été représentées (Molière, Gretry, Méhul…). L’un des dessins humoristiques l’accompagnant évoque Séchan. Ses décors sont sensés « sécher » rapidement. Un autre cartoon dépeint Poelaert, « pas encore mis dans le commerce » (il n’est pas encore intervenu dans l’architecture du lieu). La seconde planche est logiquement ornée en son centre de la « Nouvelle Monnaie », aveuglée par son couvre-chef et outrageusement décorée dans un style « Louis XIV ». Au-dessus de cette figure centrale, un plan du bâtiment, extrêmement complexe, est ironiquement sous-titré « les dégagements sont si faciles ». Poelaert est épinglé à plusieurs reprises, Rops semble railler le passéisme de son architecture et la pompe exagérée du bâtiment : « M. Poelaert veut dorer jusqu’à M. Vizentini (compositeur)…». Ailleurs, un personnage juché sur un cheval au galop n’est autre que Charles-Louis-Joseph Hanssens, ancien directeur du Théâtre et chef d’orchestre.

On le voit, si Félicien Rops prend plaisir à se moquer de ses contemporains, son humour reste bon enfant. Ses dessins sont avant tout prétexte à de bons mots et à l’évocation d’une vie culturelle que l’artiste affectionnait et à laquelle il participait abondamment.

Frédéric Paques

Pour en savoir plus :

Frédéric Paques, Avant Hergé. Étude de l’apparition des premières bande dessinées en Belgique francophone (1830-1914), thèse de doctorat, Université de Liège, 2011.

Jacques Isnardon, Le Théâtre de la Monnaie depuis sa fondation jusqu’à nos jours, Bruxelles, Schott Frères, 1865.

Isabelle Pouget, Les Mots de la Monnaie, Bruxelles, Mardaga, 2014.