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Trois places bruxelloises

Place communale de Molenbeek, Bruxelles, 2014. © Marie-Françoise Plissart.

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On peut distinguer trois périodes significatives dans l’évolution des usages et des aménagements des places bruxelloises. Premièrement, l’espace urbain d’Ancien Régime se manifeste comme un espace de séjour, un espace public partagé et plurifonctionnel où circulation, loisir, commerce et travail se côtoient. Ensuite, un long processus de mutation sur plus d’un siècle et demi fait évoluer l’espace partagé d’Ancien Régime vers l’espace ségrégé du XXe siècle. La fonction circulatoire devient prioritaire et l’espace public sert principalement à la circulation et au stationnement des véhicules. Les places publiques sont dès le milieu du XXe siècle encombrées par les automobiles en stationnement, comme sur la Grand-Place ou la place communale de Molenbeek. C’est l’époque du tout à l’automobile où la modernisation du réseau routier, faisant de Bruxelles le « Carrefour de l’Occident », s’accompagne de la nécessité de disposer de vastes espaces de stationnement qui mèneront à la construction de nombreux parkings hors voirie (Parking 58). La critique de cette évolution mène dans les années 1970 au mouvement de reconstruction de la ville européenne qui revendique alors la valorisation et la continuité physique des lieux de sociabilité urbaine, le partage modal de l’espace public et la reprise des outils d’embellissement urbain des XVIIIet XIXe siècles. Avec la montée d’une approche patrimoniale du tissu urbain ancien à l’orée des années 1970, on observe, selon Cédric Feriel, une valorisation croissante d’un traitement esthétique « à l’ancienne » qui aboutit à une patrimonialisation de nombreux centres-villes européens. Le stationnement des véhicules est ainsi supprimé sur la Grand-Place de Bruxelles et le réaménagement de l’îlot sacré n° 1 témoigne de ce qu’on peut appeler un piétonnier patrimonial. Le piétonnier, loin d’être nostalgique et antimoderniste, constitue alors, selon Feriel, une solution originale contre le dépérissement des centres-villes.

 
 

Cependant, à plus grande échelle, l’aménagement préconisé ne remet pas en cause les infrastructures existantes ni la gestion moderne de l’automobilité au-delà de la domestication de la vitesse : la place Royale, par exemple, constitue toujours un carrefour important pour la circulation automobile et les transports publics, laissant peu de place aux fonctions autres que circulatoires. Il faut attendre le début du XXIe siècle pour voir apparaître à Bruxelles les premiers piétonniers de « mise en urbanité », lieux de rencontre et de mixité d’usages marqués par des aménagements appropriables, dans la continuité desquels s’inscrit le nouvel « aménagement partagé » de la place communale de Molenbeek qui relativise les enjeux de circulation au profit des usages et de l’hétérogénéité de la ville existante.

Claire Pelgrims

Pour en savoir plus :

 Cédric Feriel, « L’invention du centre-ville européen : La politique des secteurs piétonniers en Europe occidentale, 1960-1980 », Histoire urbaine, no 42 (avril 2015), pp. 99‑122.

Christophe Loir, « De l’espace partagé à la ségrégation modale: le long processus de transformation de l’espace public (1775-1936) », Cahiers de l’Observatoire de la mobilité de la Région de Bruxelles-Capitale, no 5 (2016), pp. 13‑29.