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Artistes au café

Publicité issue de la revue Bataille littéraire, 5e année, n° 12, 15 décembre 1923, p. 282. © Digithèque de l’Université libre de Bruxelles.

 
 

Cette publicité pour le « Café National », issue de la Bataille littéraire de 1923, illustre la manière dont les tenanciers de cafés ont joui de la réputation des écrivains qui fréquentaient leurs établissements. Alors que chaque groupe littéraire avait auparavant « son » café, on rencontre de plus en plus, dès le début du XXe siècle, et plus encore dans les années vingt, les écrivains et les artistes « de tous poils et de toutes plumes » présents en masse dans quelques débits de boissons choisis de la ville : les « Caves de Maestricht » à la Porte de Namur, le « Diable au Corps » rue aux Choux, ou encore l’« Hulstkamp » galerie de la Reine. Ce phénomène s’explique sans doute par le contexte particulier d’après-guerre : mettant momentanément de côté leurs différends esthétiques et même politiques, les auteurs se côtoient et s’associent parfois pour relancer la création artistique dans le pays. Au « National », qualifié de « Procope de la Porte de Namur », on rencontre notamment l’équipe de la revue Le Thyrse ainsi que celle des « Mardis des Lettres Belges » comme ne manque pas de le préciser la publicité de l’établissement. Présidés depuis avril 1921 par le poète catholique Georges Ramaekers (1875-1955), les « Mardis » consistent en des séances de conférences, des récitations de vers et des parties musicales.

Cette annonce évoque par ailleurs une caractéristique fondamentale du café littéraire : sa fréquentation comme moyen de côtoyer les littérateurs en vue. La présence régulière des auteurs dans un lieu précis et public de la ville permet en effet de les approcher facilement et le débit de boissons constitue de la sorte un lieu stratégique pour les aspirants-écrivains qui tentent d’intégrer le milieu artistique bruxellois. Inversément, les hommes de lettres profitent souvent du café comme d’une vitrine pour se faire connaître, ainsi que leurs œuvres.

L’emplacement du « National » à la Porte de Namur est révélateur. Plusieurs cafés littéraires verront en fait le jour dans ce quartier, en plein essor au début du XXe siècle. Bien desservi en transports en commun, il est l’une des zones les plus dynamiques de la capitale : riche en cafés, restaurants, théâtres, salles de concert et de danse, il est parfois apparenté à Montmartre. Cet ancrage du café littéraire dans des quartiers associés au divertissement est en lien avec l’usage qu’en font les écrivains : plus qu’un lieu de travail ou de discussions sérieuses autour de la littérature, il est désormais surtout un lieu de socialisation et d’intégration dans le milieu littéraire que l’on fréquente par plaisir.

Julie Fäcker

Pour en savoir plus :

Julie Fäcker, « Lieux d’écrivains. Le café dans la construction posturale des Jeunes Belgique », Textyles, n° 47, 2015, pp. 109-122. En ligne : http://textyles.revues.org/2636

Daphné de Marneffe, Entre modernisme et avant-garde. Le réseau des revues littéraires de l’immédiat après-guerre en Belgique (1919-1922), thèse de doctorat, Université de Liège, 2006-2007.