Micm-arc

Se croiser

Marc De Coster, Porte de Louvain, 1888, huile sur toile, 50 x 61 cm, Saint-Josse-ten-Noode, Collections Musée Charlier. © KIK-IRPA, Bruxelles, cliché KM012164. Photographe : Jacques Declercq. © Musée Charlier. Remerciements : Nathalie Jacobs, Musée Charlier, Saint-Josse-ten-Noode.

 
 

Dans le tableau de Marc De Coster représentant la Porte de Louvain (1888), le personnage central, situé aux deux-cinquième de la largeur de l’espace, presque au point que la tradition académique situe comme le « nombre d’or » de la composition classique, se trouve une domestique qui déambule en tablier. Au second plan, une autre domestique, ou une livreuse, porte un grand paquet sur la tête, tandis que, sur la même ligne horizontale, un couple de bourgeois se promène et un jeune garçon court ou patine rapidement. Une voiture attelée attend, et le cocher en profite pour saluer un confrère. La modernité du tram à vapeur, dont les rails structurent l’espace, inscrit la scène dans un présent réaliste et audacieux.

Presque au même moment, dans une « chronique bruxelloise » publiée dans le journal Le Progrès (26 septembre 1886 ), le poète Émile Verhaeren (1855-1916) décrit une scène se situant avenue Louise. Le même personnel s’y retrouve, cochers et domestiques, mais à une heure matinale où les maîtres sont encore couchés :

« Ces jours derniers, le matin, à l’avenue, oh ! comme dans l’air aigre du matin sonnaient clair les sabots des chevaux et les gourmettes et les étriers. C’était adorable, dans une lumière fine et teintée de bleu et d’orange ! Un pâle soleil ; ci et là, un massif qui laissait déjà tomber des feuilles au léger cahotis du tramway qui passait ; un cantonnier qui balayait lentement, en cadence, avec de superbes balancements du corps, l’interminable allée ; des servantes sur le pas des portes en tablier blanc et des cochers habitués aux prestances sur le siège, qui leur apportaient des seaux d’eau avec une gravité de chanoine officiant. Au bas, luisaient les étangs d’Ixelles ; des canots reposaient près des berges, les arbres fins comme des roseaux, des petits arbres grêles se reflétaient à gauche et la lointaine église de Ste-Croix, horrible à tout autre moment du jour, s’harmonisait dans cet ensemble de brume subtile et métallique. » (Émile Verhaeren, « Chronique bruxelloise », Le Progrès, 1ère année, n° 23, 26 septembre 1886.)

Le poète et le peintre sont des témoins attentifs de la ville comme lieu où se croisent les classes et les genres.

Paul Aron