Les groupes littéraires au XIXe siècle ne sont en réalité pas constitués exclusivement d’hommes de lettres. Souvent rassemblés autour d’une revue, les rédacteurs côtoient notamment des artistes–peintres qui prennent d’ailleurs parfois eux-mêmes la plume. Franz Gailliard (1861-1932) est de ceux-là. Il rejoint dès la fin de l’année 1898 l’équipe du Thyrse au titre d’illustrateur. Le groupe fréquente assidûment les débits de boissons : après les estaminets « Au Roi Gambrinus », « Au Congo » ou encore « Au Lattis » situés près de la Porte de Hal, ils organisent leurs réunions dans des cafés plus luxueux : à l’ « Hulstkamp » du boulevard Anspach ou encore aux « Caves de Maestricht » de la Porte de Namur.
Ce changement de type de lieu de sociabilité n’est pas insignifiant : il marque la réussite littéraire du groupe et son embourgeoisement. Le café, qui apparaît dans la capitale au début du XIXe siècle, est en effet associé à la modernité et à la richesse. Il est, à la différence des cabarets, grand, confortable, il dispose en général de tables de marbre et de grands miroirs et il fait souvent l’objet de nouveautés architecturales, surtout à la fin du siècle. Il arrive en tête, dans la hiérarchie des débits de boissons établie par Delisle dans les années 1870-1880, suivi par la taverne, l’estaminet, le cabaret et enfin l’assommoir.
Le prestige du café est notamment perceptible dans le traitement particulier qui lui est réservé en ce qui concerne la législation des terrasses. Aux lendemains de l’indépendance belge, il est encore interdit aux établissements d’installer des chaises et des tables sur la voie publique. Rares sont les rues pourvues de trottoirs et, en dehors des zones spécifiques de promenade, ces derniers sont plutôt considérés comme des espaces de circulation utilitaires qu’aucun obstacle ne doit gêner. Les cafés semblent avoir été exemptés de cette interdiction au vu du nombre de plaintes des cabaretiers qui voulaient pouvoir bénéficier des mêmes faveurs. Une réglementation est finalement adoptée en 1849, autorisant l’ensemble des tenanciers de débits de boissons à placer des terrasses, en fonction de la largeur de la rue.
The Sidewalk Café, qui date de 1884, représente le boulevard Anspach, alors que l’église des Augustins tient encore lieu et place de la future place De Brouckère. En plus d’illustrer l’usage des terrasses, désormais entré dans les mœurs, ce tableau montre aussi la présence des femmes aux tables des cafés. Cette présence n’allait pas de soi encore quelques années plus tôt puisque certains établissements allaient jusqu’à interdire l’entrée aux femmes si elles n’étaient pas accompagnées ou en chapeau.
Julie Fäcker
Pour en savoir plus :
Christophe Loir et Laurent Turcot, dir., La promenade au tournant des XVIIIe et XIXe siècles (Belgique – France – Angleterre), Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2011.
Daniel Berger et al., L’Heure Bleue : la vie nocturne à Bruxelles de 1830 à 1940, [Bruxelles], Crédit communal, [1987].
Fernand Delisle, Nouveau guide illustré de Bruxelles, Bruxelles, Moens, s. d.