Contrairement à d’autres pays européens, comme la France, où l’action de l’État dans la culture était directement pensée et gérée par un ministère unique, la compétence culturelle fut transférée en Belgique aux communautés linguistiques. L’application des principes d’égalité culturelle se fit dès lors à travers le prisme de ces institutions qui développèrent des politiques spécifiques de décentralisation.
Un autre niveau de pouvoir, historiquement très important et difficilement contournable en Belgique, complexifia encore la concrétisation de ces politiques culturelles : le pouvoir communal. D’une part car les politiques communautaires d’investissement dépendaient en réalité du bon vouloir des communes, et surtout, de leur volonté de développer pareille infrastructure. Les politiques d’investissement donnaient en effet aux ministères de la culture un rôle avant tout de coordination managériale : ils définissaient les grandes zones de carences et de besoins, fixaient les enveloppes budgétaires disponibles ainsi que les normes, la programmation et les jauges minimales à respecter, et « attendaient » ensuite de manière plus ou moins passive les demandes de subventions venant des communes intéressées. Ils ne pouvaient dès lors pas réellement contrôler finement la répartition géographique de ces nouvelles infrastructures, qui fut très hétérogène contrairement aux objectifs affichés d’ « égalité territoriale ». Comme le dit le Plan quinquennal de politique culturelle du Ministère de la Culture Française datant de 1968 :
« un nouveau et très important critère de sélection » se fera jour, « celui de l’enthousiasme de la participation locale. Car il est naturel qu’une priorité soit accordée aux localités dirigées par une administration dynamique et qui comptent dans leur population des groupes entretenant, dès aujourd’hui, par leurs seuls efforts, une vie culturelle intense […] ». (Ministère de la Culture Française, Plan quinquennal de politique culturelle, Bruxelles, 1968, p. 24.)
Les subventions se matérialisent ainsi d’abord dans des communes possédant déjà une vie culturelle où la demande était forte, où elle fut dès lors rencontrée, au dépend de territoires où celle-ci était peu présente, voire inexistante, et le resta.
D’autre part, à une plus petite échelle, les communes, en tant que maîtres d’ouvrage, restaient également libres tant de la localisation sur leur territoire mais également de la forme architecturale et urbanistique du centre culturel qu’elles se proposaient de construire.
La démocratisation de la culture dans l’État providence, ambitionnant en apparence un développement plutôt homogène et égalitaire à l’échelle des communautés, se traduisit ainsi de manière plutôt hétérogène sur leur territoire, au gré des spécificités et volontés communales, voire résultant d’une forme pure de localisme, selon Gosseye.
Yannick Vanhaelen
Pour en savoir plus :
Janina Gosseye, « On Common Ground ? The Construction of New Collective Spaces in Flanders, 1950s to 1970s. », thèse de doctorat, K.U. Leuven, 2012.
Ministère de la Culture Française, Plan quinquennal de politique culturelle, Bruxelles, 1968. Voir : Lien