Micm-arc

Un réseau de promenades extérieures

Anne Pierre De Kat, Bois de la Cambre, 1926, huile sur toile, 100 X 120 cm, non localisé. © KIK-IRPA, Bruxelles, cliché KM002650. Photographe : Jean-Louis Torsin.

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Les moments de l’histoire sur une carte, dans Tatiana Debroux et al., « La dramatique histoire de Léon Camille. Essai de Géographie littéraire le long des boulevards bruxellois », Brussels Studies, n° 92 (10 octobre 2015), p. 3. © Tatiana Debroux.

 

Enchâssée dans un récit plus vaste – celui du Diable à Bruxelles , l’histoire de Léon, un étudiant de bonne famille, et Camille, une chapelière, a été publiée en 1853 par Louis Hymans et Jean-Baptiste Rousseau. Il s’agit d’un récit hybride, mi-fictionnel mi-documentaire, appartenant au genre de la littérature panoramique, c’est-à-dire une littérature dans laquelle le fait urbain tient le rôle de personnage principal. À travers l’intrigue amoureuse, les deux auteurs révèlent les contrastes socio-spatiaux associés aux différentes portions des boulevards, tout en nuançant la rupture fondamentale de l’espace bruxellois au XIXe siècle en mentionnant les endroits où les rencontres sont permises. La cartographie de ce récit permet ainsi de mettre en évidence quatre portions des boulevards extérieurs : plébéien entre la Porte d’Anderlecht et la Porte de Hal, neutre entre celle-ci et la Porte de Namur, qui marque le tournant vers le boulevard aristocratique, s’étendant lui-même jusqu’à la Porte de Louvain, et, enfin, le boulevard du Jardin Botanique, espace bourgeois  décrit comme suit par les auteurs :

« Si vous descendez de la porte de Louvain jusqu’à la porte de Cologne, vous trouverez le monde bourgeois. Quelquefois il y a des voitures attelées […] ; plus communément il marche à pied. C’est vers six heures du soir, lorsque les cavaliers aristocratiques ont disparu du boulevard du Régent, que les cavaliers bourgeois apparaissent sur le boulevard du Jardin Botanique. […] les cavaliers eux-mêmes sont parfois des pastiches passables des originaux qu’ils copient. […] dans cette apparente confusion des rangs et des naissances, on peut démêler les intrus ; leur attitude annonce leur position sociale. » (Louis Hymans et Jean-Baptiste Rousseau, Le Diable à Bruxelles, Bruxelles, Librairie polytechnique d’Aug. Decq,  1853, t. 3, pp. 95-97.)

Malgré ces ruptures socio-spatiales qui perdurent, les boulevards extérieurs forment dans la seconde moitié du XIXsiècle, avec l’avenue Louise et le bois de la Cambre, un réseau de promenades fait d’artères et de parcs où sont alors expérimentées de nouvelles formes urbaines en matière de séparation des trafics. La ségrégation modale se double en effet alors d’une ségrégation fonctionnelle ayant recours aux plantations ou à une différenciation du revêtement – dispositif séparant les circulations ordinaire et récréative à son apogée dans les années 1860. Pourtant, ce système impose une grande rigidité par rapport à l’évolution constante des modes de transport. Ainsi, départageant les cavaliers des piétons et des circulations attelées, le plan du bois de la Cambre est peu adapté à l’essor de la bicyclette si bien que cette dernière rend très rapidement nécessaire la révision du système de ségrégation modale du parc. Ensuite, comme le représente Anne Pierre De Kat en 1926 dans Bois de la Cambre, la voiture automobile – utilisée d’abord comme véhicule de promenade, ensuite comme moyen de mobilité ordinaire – imposera également d’autres aménagements et transformera ce réseau de promenades – ces espaces de lenteur – en espaces de vitesse. La Petite Ceinture et l’avenue Louise sont notamment transformées en voies rapides.

Claire Pelgrims, Christophe Loir, Laurence Brogniez & Tatiana Debroux

Pour en savoir plus :

Tatiana Debroux, Laurence Brogniez, Jean-Michel Decroly  et Christophe Loir, « La dramatique histoire de Léon et Camille. Essai de géographie littéraire le long des boulevards bruxellois », Brussels Studies, [En ligne], Collection générale, n° 92, mis en ligne le 19 octobre 2015, consulté le 28 février 2017. URL : http://brussels.revues.org/1307. 

Christophe Loir, « De l’espace partagé à la ségrégation modale : le long processus de transformation de l’espace public (1775-1936) », Cahiers de l’Observatoire de la mobilité de la Région de Bruxelles-Capitale, no 5 (2016), pp. 13‑29.