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Un espace partagé en transition

Anonyme, Toto et sa sœur en bombe à Bruxelles, Bruxelles, Pathé Frères, 1910. © Collection CINEMATEK – Belgian Film Archive – https://www.youtube.com/user/CINEMATEKfilms.

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Anonyme, Toto et sa sœur en bombe à Bruxelles, Bruxelles, Pathé Frères, 1910. © Collection CINEMATEK – Belgian Film Archive – https://www.youtube.com/user/CINEMATEKfilms.

 

Mettant en scène la célèbre figure de Toto dans le Bruxelles de 1909, Toto et sa sœur en bombe à Bruxelles, film muet touristique produit par Pathé Frères à la veille de l’Exposition Universelle qui se tiendra en 1910, nous fait découvrir les principaux lieux et monuments de la ville. Ce film, l’un des premiers sur Bruxelles, est une source précieuse pour comprendre les pratiques de mobilité autour de 1900. Il nous entraîne à travers une capitale encore marquée par une faible ségrégation modale. Si, depuis l’embellissement du quartier royal à la charnière des XVIIIet XIXe siècles, les trottoirs se sont multipliés dans la ville pour mieux préserver les façades des bâtiments et protéger les piétons de la circulation en leur offrant un espace confortable à l’abri du crottin de cheval, ces derniers ne sont pas encore contraints de les utiliser. Toto et sa sœur, comme bien d’autres piétons, marchent ainsi fréquemment sur la chaussée, au milieu des tramways, voitures hippomobiles, charrettes à mains et carrioles tirées par des chiens. L’espace public est partagé par tous les usagers. Les premières tentatives de ségrégation visent surtout à séparer, non les modes de déplacement, mais la circulation ordinaire de celle de la promenade. Dans ce film muet, les modes de transport sont au cœur du récit et liés à des espaces urbains spécifiques : petite charrette d’enfants dans le jardin, automobile dans les beaux quartiers des faubourgs, marche à pied place Royale et Grand-Place, tramways sur les boulevards et carrioles tirées par des chiens dans les faubourgs pauvres et semi-ruraux.

 
 

Au début du XXe siècle, l’espace viaire commence toutefois à être saturé en raison d’une diversification des modes de transport et d’une augmentation du trafic due notamment à l’étalement urbain. Afin de répondre aux exigences de rapidité en ville, les pouvoirs publics imposent progressivement une uniformisation des usages et des pratiques sur la voirie publique et interdisent les activités autres que circulatoires. Celles-ci font alors l’objet du développement de nouvelles solutions architecturales et urbanistiques telles que les marchés couverts, les trottoirs, les passages couverts, les parcs piétonniers, les voies de desserte, etc. La circulation pédestre est de plus en plus systématiquement limitée au trottoir. En 1936, un arrêté royal réglementant la circulation des piétons leur interdit désormais strictement de circuler sur la chaussée. L’accélération du trafic automobile et sa coexistence avec des circulations lentes ont en effet poussé les autorités publiques à séparer les modes selon leur vitesse, reléguant ainsi les piétons sur le trottoir et entraînant la généralisation de ceux-ci et la multiplication des passages cloutés.

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Anonyme, Bruxelles circulation, Bruxelles, ca. 1935. © Collection CINEMATEK – Belgian Film Archive – https://www.youtube.com/user/CINEMATEKfilms.

 

C’est à la fin de ce processus qu’est tourné un autre court-métrage, Bruxelles circulation, illustrant les difficultés rencontrées par les automobilistes au milieu des années 1930 dans une ville où la rapidité est loin d’être généralisée à l’ensemble de l’espace urbain. Alors que les automobiles étaient extrêmement rares dans Toto et sa sœur en bombe à Bruxelles, elles se sont depuis multipliées. Nous suivons un riche bourgeois et son chauffeur montant dans une automobile à hauteur de la toute récente avenue F. D. Roosevelt, l’une des premières artères aménagées pour la circulation automobile. Le parcours les emmène jusqu’à l’avenue de la Couronne en passant par les étangs d’Ixelles et la place Flagey. Le réalisateur y met en contraste la facilité de roulage sur la nouvelle et large avenue macadamisée quasi exclusivement réservée à la circulation automobile et la difficulté – ressentie à travers les tremblements de la caméra – de circuler sur les anciennes voiries, pavées, encombrées (piétons sur les passages cloutés, véhicules hippomobiles, tramways, déplacement de militaires à pied) et où l’action des agents de police est à tout instant nécessaire pour maintenir l’ordre et la fluidité du trafic.

Claire Pelgrims & Christophe Loir

Pour en savoir plus :

Christophe Loir, « De l’espace partagé à la ségrégation modale : le long processus de transformation de l’espace public (1775-1936) », Cahiers de l’Observatoire de la mobilité de la Région de Bruxelles-Capitale, no 5 (2016), pp. 13‑29.