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Du croissant autoroutier au roadscape

Selim Sasson, My name is Moore, Roger Moore, dans « Le petit carrousel illustré », Bruxelles, RTBF, 14 octobre 1968. © SONUMA – http://www.sonuma.be/.

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Selim Sasson, My name is Moore, Roger Moore, dans « Le petit carrousel illustré », Bruxelles, RTBF, 14 octobre 1968. © SONUMA – http://www.sonuma.be/.

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À l’instar de l’avenue des Nations (l’actuelle avenue F. D. Roosevelt), le réseau de voies de promenade savamment développé durant le XIXsiècle est transformé, dans les années 1950-1960, en expressway dans le cadre des grands travaux routiers de l’agglomération bruxelloise. Le boulevard Léopold II, la partie est de la Petite Ceinture et l’avenue Louise formant ce « croissant autoroutier » doivent en effet constituer l’accès privilégié à l’Exposition Universelle de 1958 depuis la périphérie est de l’agglomération. Mais, tout comme la modernisation de la voirie n’a pas empêché certains tronçons de la Petite Ceinture de conserver leur spécificité fonctionnelle (le marché, la foire, la résidence, les institutions…), la transformation de ce réseau de promenades en autoroute urbaine ne doit pas entraver son caractère prestigieux qui permet à Roger Moore d’y « voyager », de s’y promener en voiture (voir le film ci-contre). Pour le collège des Échevins de la Ville de Bruxelles dans leur séance du 4 novembre 1968, c’est très clair : en ce qui concerne l’avenue Louise, si « garder à l’avenue son aspect d’antan » est devenu impossible ne fût-ce que par la transformation du boulevard en autoroute urbaine, il faut « adapter la perspective générale de cette avenue aux impératifs d’aujourd’hui », en tâchant de lui conserver au maximum son caractère résidentiel et commercial prestigieux. Parce que l’avenue résidentielle du XIXe siècle est vite devenue le site d’implantation de nombreuses sociétés dont les nouvelles constructions modifient son aspect résidentiel prospère, la Ville de Bruxelles commande en 1967 l’étude d’un plan particulier d’aménagement au groupe Urbat pour limiter la pression de la spéculation immobilière sur cette partie de son territoire, la Ville de Bruxelles étant déjà saisie à l’époque de plusieurs demandes de construction d’immeubles-tours. Ce groupe propose quatre lieux d’implantation pour des immeubles-tours qui, géographiquement isolés pour souligner leur singularité mais implantés en rythme régulier, marquent la localisation de l’avenue prestigieuse et ses hauts lieux dans le paysage bruxellois ; et notamment le paysage nocturne puisque plusieurs solutions sont amenées à la table des Échevins pour « rendre à l’avenue Louise le prestige et la lumière qu’on lui souhaitait » comme celle d’illuminer les tours et les rez-de-chaussée commerciaux. L’aménagement de l’avenue Louise, avec ses quatre immeubles-tours, est ainsi tout à fait exemplaire de l’entreprise d’embellissement urbain adaptant l’implantation des bâtiments à la vitesse de la voiture automobile pour créer un paysage cinétique qui bouleverse l’expressivité monumentale de la ville.

Claire Pelgrims

Pour en savoir plus :

Ville de Bruxelles, « Séance du 4 novembre 1968 », Bulletin communal, no 18 (1968).

Géry Leloutre, « Bruxelles haute voltige : regard sur le débat des tours à Bruxelles », dans Ingrid Taillandier, Olivier Namias, Jean-François Pousse, éd., L’invention de la Tour européenne, Paris, Pavillon de l’Arsenal, 2007, pp. 285-299.

Géry Leloutre et Yannick Vanhaelen, « Le “Diable” sur les boulevards. Permanence d’une figure métropolitaine polymorphe : vers une définition de la petite ceinture bruxelloise. » (Colloque Boulevards/Rings et limites urbaines en Europe 19e-21e siècles. Culture, mobilité, territoire. Émergence et transformation de l’identité métropolitaine bruxelloise, 18e-21e siècles, Université libre de Bruxelles, 2013).

Géry Leloutre et Claire Pelgrims, « Le roadscape bruxellois. Le rôle de la route dans la rénovation urbaine ou la coproduction d’une infrastructure paysagère », dans Tatiana Debroux, Yannick Vanhaelen et Judith le Maire, éd., L’Entrée en ville. Aménager, expérimenter, représenter, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2017, pp. 43-62.