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Au pays de la danse

Carton publicitaire pour la Salle de danse du Palais Baudouin, ca. 1920, Bruxelles, collection privée. © Collection privée – Valérie Dufour.

 
 

Si le ballet, divertissement des classes aisées, a toujours habité la vie musicale officielle bruxelloise et en particulier celle du Théâtre royal de la Monnaie, le bal public demeure un divertissement durant tout le XIXe siècle, organisé dans les grandes salles de la capitale, y compris à l’Opéra. De la salle de danse la plus huppée au modeste bal de guinguette, les lieux de danse sont des espaces de sociabilité porteurs d’enjeux culturels dans la ville :

« Ce sont encore, entre les boulevards Anspach, Baudouin et du Midi, dans ce vaste pan de ville imprégné de mœurs brabançonnes, les cent cabarets dont l’orchestrion virulent, lors des kermesses de quartier, convoque la plèbe aux tangibles bonheurs. Les hommes, des fois, dansent par couples, ou les femmes ; dans les « bals renversés » la femme invite l’homme ; alors le danseur copurchic, au mitan de la valse, empoigne sa compagne par la taille, et, sans qu’elle touche terre, la fait éperdument tournoyer. Chaque danse se paye cinq à dix centimes ; certains patrons exigent le supplément d’un sou pour les danses à plusieurs figures, lanciers et quadrilles. Un fait patent et singulier, c’est la grâce, le sérieux, la correction avec quoi, dans ces milieux grossiers s’exécutent les danses… » (Franz Mahutte, Bruxelles Vivant, Bruxelles, Bureaux de l’Anthologie contemporaine des écrivains français et belges, 1891, p. 214.)

Dans les années vingt, le développement des « dancings » dans la capitale poursuit la mode des bals du XIXe et du début du XXe siècle en s’insérant dans un paysage du divertissement en pleine mutation. Certes les danses américaines débarquent, mais l’évolution des loisirs est aussi alors intimement liée aux législations récentes de l’organisation du travail pour les ouvriers, notamment la journée des huit heures. Des dizaines d’établissements quadrillent la ville : les plus modestes café-dancings des quartiers populaires fonctionnent avec un orchestrion, et les plus imposantes salles de danse du centre-ville se déploient parfois autour de plusieurs pistes de danse, chacune animée par un, voire plusieurs orchestres (Le Madrid, Le Saint-Sauveur, etc.). Le dancing est aussi un marché aux filles « convolables » (Jean d’Osta), chacun subtilement défini par son rang. Ainsi, comme l’indique son enseigne, le Palais Baudouin est un véritable « Palace – dancing hall » avec une immense piste en parquet aux décorations de verre et de fer. Une publicité du Baudouin fait état de 4400 glaces et 4000 lumières. Son orchestre était dirigé par Gustave Cluytens, célèbre pour les bals qu’il dirigeait dans la capitale et grand-père du futur célèbre chef d’orchestre André Cluytens. De son côté, Le Madrid, défini par le premier exégète du jazz en Belgique, Robert Goffin, comme « véritable trust de la noce », avait trois orchestres, trois salles et 2000 places. Il sera remplacé en 1931 par le grand cinéma Commodor. Le Bruxelles des années vingt est une ville grouillante de musique : un document du syndicat des artistes musiciens recensait déjà 137 orchestres actifs dans la capitale en 1921 (dont 31 dans les dancings, 4 dans les café-concerts, 57 dans les cinémas et 18 dans les théâtres).

Valérie Dufour